Conférenciers invités
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Quels sont les liens entre motricité, émotions et cognitions ?
Carole Ferrel1
1 Licaé, UFR STAPS. Université Paris Nanterre
Cette présentation abordera sur le plan théorique et expérimental les liens qui unissent les émotions et la motricité. Ainsi, plusieurs modèles s'affrontent pour expliquer l'influence des émotions sur l'action. Selon Scherer (2009)(Scherer, 2009), on peut distinguer plusieurs sources d'influence des émotions sur la motricité. Cette présentation sera centrée sur 3 de ces facteurs.
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Tout d'abord, les émotions peuvent être perçues comme des "états motivationnels" qui vont déclencher le comportement (Frijda, 1986). Les émotions seraient associées à des tendances comportementales d’approche ou d’évitement d’une situation. Une émotion positive faciliterait les comportement d'approche alors qu'une émotion négative induirait des comportements d'évitement (ou inhiberait les comportements d'approche). Plusieurs démonstrations expérimentales de ce phénomène seront présentées et notamment les travaux sur l'initiation d'un pas (Gélat & Coudrat, 2011; Gélat & Ferrel-Chapus, 2015)
Ensuite, les émotions peuvent être perçues comme une composante qui régule les comportements moteurs. Ainsi, l'état émotionnel de l'individu influence sa motricité en favorisant ou en inhibant la certains paramètres moteurs (Coudrat et al., 2014; Mennella et al., 2025). Cet effet varie également selon la population étudiée (personnes âgées ou atteinte de trouble du spectre autistique).
Enfin, l'influence des émotions sur l'action ne serait pas directe mais médiée par un système de représentation. Selon la théorie idéomotrice (Hommel et al., 2001), les actions sont représentées en mémoire par leurs effets sensoriels qui sont utilisés pour sélectionner, initier et contrôler l’action motrice. La perception et l'action partageraient un système de représentation commune et le codage des différentes caractéristiques à utiliser serait adapté aux exigences de la situation par un réglage du poids de chaque caractéristique. Ce poids varie en fonction de l'intention de l'individu et de l'importance qu'il accorde à certains paramètres. Eder et al. (2013) ont proposé d’élargir ce modèle en y intégrant les aspects affectifs. Selon eux, les conséquences émotionnelles de l’action seraient intégrées au système de représentation commune et pondèrerait les processus organisateurs de l’action. Nous avons ainsi montré que les processus de planification et de contrôle des mouvements sont préservés chez enfants atteints d'autisme pour prendre un objet aimé alors qu'il est dégradé si l'enfant doit se déplacer pour saisir un objet qu'il n'aime pas (Longuet at al 2012). Ce modèle a également été testé dans le cadre de mouvements de pointage (Vernazza-Martin et al, 2022; Lachaud et al, 2024 ). Les sujets réalisaient des pointages dans un contexte valencé et/ou qui entraine l'apparition d'une image valencée. Les résultats indiquent que les conséquences émotionnelles de l'action, l'intention du sujet et les conséquences visuelles de l'action sont intégrées à la réalisation motrice. Nous terminerons cette présentation par les pistes que ces recherches apportent pour la rééducation des personnes atteintes de troubles moteurs.
Références
Coudrat, L., Rouis, M., Jaafar, H., Attiogbé, E., Gélat, T., & Driss, T. (2014). Emotional pictures impact repetitive sprint ability test on cycle ergometre. Journal of Sports Sciences, 32(9), 892‑900.
Eder, A., Rothermund, K., & De Houwer, J. (2013). Affective compatibility between stimuli and response goals : A primer for a new implicit measure of attitudes. PLoS ONE, 8(11), e79210. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0079210
Frijda, N. H. (1986). The Emotions. Cambridge University Press.
Gélat, T., & Coudrat, L. (2011). Gait initiation is affected during emotional conflict. Neuroscience Letters.
Gélat, T., & Ferrel-Chapus, C. (2015). Reaction time in gait initiation depends on the time available for affective processing. Neuroscience Letters, 609, 69‑73. https://doi.org/10.1016/j.neulet.2015.10.003
Hommel, B., Musseler, J., Aschersleben, G., & Prinz, W. (2001). The Theory of Event Coding (TEC) : A framework for perception and action planning. Behav Brain Sci, 24(5), 849‑878; discussion 878-937.
Mennella, R., Bazin, S., Ferrel, C., Vernazza-Martin, S., & Beaurenaut, M. (2025). The effect of anxiety on gait : A threat-of-scream study. Psychological Research, 89(1), 14. https://doi.org/10.1007/s00426-024-02039-3
Scherer, K. R. (2009). The dynamic architecture of emotion : Evidence for the component process model. Cognition and Emotion, 23(7), 1307‑1351. https://doi.org/10.1080/02699930902928969
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Effort cognitif, incertitude et anxiété : comment influencent-ils l’activité cérébrale liée à la sélection et au contrôle des mouvements ? –
Emmeline Pierrieau1
1 PhD, PostDoc, Université de Bordeaux
En dépit de l’influence évidente de nos émotions sur nos actions, neurosciences affectives et contrôle moteur ont été le plus souvent étudiés séparément, conduisant ainsi à la construction de modèles négligeant l’impact de l’un sur l’autre (Blakemore et Vuillemier, 2017). Toutefois, de récents efforts visant à réconcilier les deux champs ont permis le développement de nouveaux modèles considérant l’influence de variables psychologiques et cognitives sur nos choix d’actions, en particulier dans le domaine du contrôle moteur (Carland et al, 2019 ; Shadmehr et al, 2019).
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La plupart de ces modèles intègrent une composante cognitive seulement au bénéfice attendu de l’action (récompense), et non à son coût.Ce dernier est souvent qualifié d’« effort » et quantifié sous la forme de dépense énergétique associée à l’exécution du mouvement (Shadmehr et al, 2016). Or, plusieurs études contredisent cette conception du coût de l’action (de Rugy et al, 2012 ; Morel et al, 2017). Le niveau d’incertitude quant aux conséquences de l’action pourrait également influencer les mouvements choisis, du fait qu’il est lié à la quantité d’informations à encoder et représente ainsi une mesure de l’effort d’un point de vue cognitif. Un niveau d’incertitude élevé et persistant a été associé à une dysrégulation de l’activité cérébrale pouvant engendrer des troubles de l’anxiété (Peters et al, 2017), dont les conséquences sur les choix d’actions peuvent se révéler particulièrement visibles (p. ex., troubles obsessionnels compulsifs). Un autre exemple de lien étroit entre coût cognitif et fonction motrice est celui de la maladie de Parkinson, dans laquelle la baisse des niveaux de dopamine se traduit premièrement par l’apparition de symptômes moteurs incluant un ralentissement des mouvements, qualifié de bradykinésie. Des données récentes suggèrent que la bradykinésie pourrait provenir d’une surévaluation du coût cognitif de l’action, et non du coût moteur comme initialement supposé (Herz et Brown, 2023). En lien avec cette hypothèse, de plus en plus d’études démontrent un lien étroit entre l’activité neuronale mesurée aux fréquences « beta » (13-30 Hz), anormalement importante dans la maladie de Parkinson, et coût cognitif associé au mouvement (Palmer et al, 2019 ; Betti et al, 2020 ; Pierrieau et al, 2023).
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Références
Blakemore, R. L., & Vuilleumier, P. (2017). An emotional call to action: Integrating affective neuroscience in models of motor control. Emotion Review, 9(4), 299-309.
Betti, V., Della Penna, S., de Pasquale, F., & Corbetta, M. (2021). Spontaneous beta band rhythms in the predictive coding of natural stimuli. The Neuroscientist, 27(2), 184-201.
Carland, M. A., Thura, D., & Cisek, P. (2019). The urge to decide and act: implications for brain function and dysfunction. The Neuroscientist, 25(5), 491-511.
De Rugy, A., Loeb, G. E., & Carroll, T. J. (2012). Muscle coordination is habitual rather than optimal. Journal of Neuroscience, 32(21), 7384-7391.
Herz, D. M., & Brown, P. (2023). Moving, fast and slow: behavioural insights into bradykinesia in Parkinson’s disease. Brain, 146(9), 3576-3586.
Morel, P., Ulbrich, P., & Gail, A. (2017). What makes a reach movement effortful? Physical effort discounting supports common minimization principles in decision making and motor control. PLoS biology, 15(6), e2001323.
Palmer, C. E., Auksztulewicz, R., Ondobaka, S., & Kilner, J. M. (2019). Sensorimotor beta power reflects the precision-weighting afforded to sensory prediction errors. Neuroimage, 200, 59-71.
Peters, A., McEwen, B. S., & Friston, K. (2017). Uncertainty and stress: Why it causes diseases and how it is mastered by the brain. Progress in neurobiology, 156, 164-188.
Pierrieau, E., Berret, B., Lepage, J. F., & Bernier, P. M. (2023). From motivation to action: Action cost better predicts changes in premovement beta-band activity than speed. Journal of Neuroscience, 43(28), 5264-5275.
Shadmehr, R., Huang, H. J., & Ahmed, A. A. (2016). A representation of effort in decision-making and motor control. Current biology, 26(14), 1929-1934.
Shadmehr, R., Reppert, T. R., Summerside, E. M., Yoon, T., & Ahmed, A. A. (2019). Movement vigor as a reflection of subjective economic utility. Trends in neurosciences, 42(5), 323-336.

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Développement typique et atypique de la reconnaissance des émotions dans le langage corporel : étude des changements développementaux d’enfants typiques et présentant un trouble du développement intellectuel grâce aux mouvements biologiques humains en points-lumineux dynamiques
Elliot Riviere1,2, Edouard Gentaz2, Yannick Courbois1
1 Laboratoire Psychologie : Interactions, Temps, Emotions, Cognition (PSITEC, ULR 4072), Faculté de Psychologie, Sciences de l’Éducation et de la Formation (PsySEF), Université de Lille, France - 2 Laboratoire Sensori-Moteur, Affectif et Social (SMAS), Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Éducation (FPSE), Université de Genève, Suisse
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Introduction : La capacité à reconnaître les émotions chez autrui constitue une compétence socio-émotionnelle fondamentale qui soutient l’inclusion sociale et favorise la participation autodéterminée dans les interactions. La plupart des études ont jusqu'à présent principalement utilisé des supports statiques imagés tels que les expressions faciales, négligeant les modalités corporelles et dynamiques pourtant cruciales dans la communication non verbale. Très peu de recherches ont investigué les changements développementaux de la reconnaissance des émotions exprimées à travers les mouvements corporels, en particulier dans des formats dynamiques et épurés tels que les mouvements biologiques humains (MBH) en points lumineux dynamiques (PLD).
Objectifs : Face à ce constat, nous avons utilisé des MBH en PLD afin d’explorer les changements développementaux de la reconnaissance des émotions dans le langage corporel émotionnel des enfants au développement typique (DT). Cette première étude nous a permis d’obtenir des repères développementaux de cette habileté afin de les comparer à ceux d’enfants présentant un trouble du développement intellectuel (TDI).
Méthodologie : 157 enfants DT et 42 enfants TDI âgés de 4 à 18 ans ont été recruté dans ce dispositif expérimental. L’étude développementale a été menée auprès des 128 enfants DT âgés de 4 à 12 ans de notre échantillon. L’étude visant à comparer ces changements développementaux auprès des enfants TDI a été mené en constituant des sous-groupes appariés : 31 paires appariées selon l’âge chronologique et 36 paires appariées sur l’efficience cognitive (score aux Matrices progressives de Raven 2, 2019). La tâche expérimentale implique la présentation de MBH en PLD (Atkinson et al., 2004) dans des tâches de familiarisation, de compréhension, de discrimination et de reconnaissance des émotions.
Résultats : Les résultats montrent que la capacité à reconnaître les émotions de base dans les MBH s'améliore avec l'âge chez les enfants DT mais que cette évolution s'observe de manière différente selon la nature de l'émotion impliquée. La joie est reconnue dès 4/5 ans, la tristesse après 5/6 ans, la colère après 6 ans et la peur après 9/10 ans. Ces résultats soutiennent l'hypothèse selon laquelle le développement de la reconnaissance des différentes émotions serait indépendant de la modalité de présentation et suggèrent que cette habileté pourrait être basée sur un développement amodal et unifié. La comparaison de ces changements développementaux a montré qu’à âge chronologique équivalent, les TDI présentent des performances significativement inférieures à celles des typiques mais que ce retard développemental serait compensé, avec des performances proches de celles des typiques, à efficience cognitive équivalente. Les analyses par modèles additifs généralisés (GAM) soutiennent que la reconnaissance émotionnelle dans les MBH-PLD dépend à la fois de l’âge chronologique (expérience développementale) et de l’efficience cognitive.
Conclusion : Cette étude pionnière contribuant à une meilleure compréhension des capacités de reconnaissance des émotions dans la dynamique corporelle auprès d’enfants DT et TDI ouvre la voie à des recherches futures et au développement de méthodes psychoéducatives et pédagogiques adaptées.
Mots-clés : Reconnaissance des émotions ; Mouvements biologiques humains ; point-light displays (points-lumineux dynamiques); Enfants ; Développement typique ; Trouble du développement intellectuel; Changements développementaux.
Références:
Atkinson, A.P., Dittrich, W.H., Gemmell, A.J., & Young, A.W. (2004). Emotion perception from dynamic and static body expressions in point-light and full-light displays. Perception, 33, 717-746.
Raven, J. C. (2019). RAVEN’S 2—Matrices Progressives. Adaptation française ECPA par PEARSON.
Riviere, E., Courbois, Y., Gentaz, E. (soumis). The developmental changes in emotion recognition from human biological motion by children aged from 4 to 12 years.
Riviere, E., Fombouchet, Y., Gentaz, E., Courbois, Y. (soumis). Developmental changes in emotion recognition from human biological motion in children with intellectual developmental disorders and typically developing peers.
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La sonification musicale peut-elle améliorer le contrôle moteur chez les personnes atteintes de la maladie de Parkinson ? Résultats d'un protocole de rééducation de la graphomotricité.
Lauriane Véron-Delor1
1 Laboratoire CeRCA-UMR 7295
Il a été démontré que la musique active une voie qui peut compenser le dysfonctionnement du réseau cortico-striatal chez les patients atteints de la maladie de Parkinson (MP), entraînant ainsi des améliorations motrices. Dans cette étude, nous avons testé une stratégie originale de sonification musicale. Techniquement, cette méthode modifie la musique en fonction de la cinématique de l'écriture manuscrite de telle sorte que les distorsions de vitesse génèrent des distorsions musicales.
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Théoriquement, l'objectif de la sonification musicale est à la fois d'améliorer la perception des irrégularités du mouvement (lorsque la musique change) et de fournir un guidage auditif (lorsque la musique ne change pas). Précédemment, nous avons montré que la sonification musicale serait plus appropriée que la musique de fond pour améliorer le contrôle du mouvement d'écriture chez le patient MP (Véron-Delor et al., 2019). Dans l’étude actuelle, nous avons évalué les effets de la sonification musicale au sein d’un protocole de rééducation à plus long terme de type pré-test, entrainement, post-test. Lors des deux phases de test, strictement identiques, les patients devaient recopier le texte du BHK sur une tablette graphique. L'entraînement consistait en huit séances quotidiennes d'une heure au cours desquelles les patients effectuaient différents exercices graphomoteurs avec sonification musicale. Les effets post-rééducation observés et quantifiés à l’aide du test BHK sont très encourageants. La sonification musicale a permis à chacun des patients inclus d’améliorer le contrôle de la vitesse de son mouvement. L’analyse des données recueillies sur tablette graphique apportera un éclairage supplémentaire quant aux effets de la sonification musicale sur le contrôle du mouvement. Cette étude constitue un nouvel argument en faveur de l'utilisation de la sonification musicale pour améliorer le contrôle moteur chez les patients MP. L'intérêt de la sonification musicale va au-delà du contrôle du mouvement d’écriture et peut être discuté au niveau motivationnel. La musique devient une récompense dans la sonification, puisqu’elle informe sur la justesse du mouvement. Cette fonction supplémentaire de la musique implique la voie mésolimbique, qui contribue au renforcement et à l'apprentissage moteurs en lien avec la récompense, ainsi qu'à la perception subjective du plaisir.
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